Assez souvent on s’est occupé des étrennes des grandes personnes pour qu’il semble bon, une fois au moins, de consacrer un article exclusif à celles que reçurent les petits, à qui d’ailleurs, elles devraient d’ailleurs être exclusivement réservées ; ne serait-ce pas le meilleur moyen de rendre agréable cette journée fastidieuse du premier janvier qui, si elle fait le bonheur de quelques uns, n’est point attendue sans appréhension par le plus grand nombre !



               
Feuille de croquis de Jouets,  par Gavarni  (1805 )
       


En France, il y a une foire aux jouets depuis des temps immémoriaux, aux approches de Noël. Cette foire était tout d’abord installée entre le pont Saint Michel et le pont au Change ; en 1725, on la transféra au Palais Royal ; puis en 1789, entre la porte Montmartre et le boulevard des Capucines, où elle se tint jusqu’à ce jour, avec une interruption de 1839 à 1852, motivée par les réclamations des petits commerçants.

François Colletet, dans son Tracas de Paris, en 1665, chantait déjà, comme le rapporte Monsieur Léo Clarétie en son très  intéressant ouvrage sur les jouets, cette foire aux étrennes:Vois-tu déjà les babioles,

Et mille sottises frivoles
Qu’on invente pour les enfants,

Agés de cinq, six ou sept ans
Ces vers surtout le dernier ne sont guère remarquables; mais Colletet faisait de son mieux.

            


Ce n’est point à cette foire, et pour cause, que la cour et les grands seigneurs s’approvisionnaient de jouets. Tallemant des Réaux, dans ses Historiettes conte “ qu’ il en coûta au Cardinal de la Valette deux mille écus pour une poupée de chambre, le lit, tous les meubles, les déshabillés, la toilette et bien des habits à changer pour Mademoiselle de Bourbon, depuis duchesse de Longueville, encore enfant. “

Louis XIII raffolait des jouets ; il avait un petit carrosse, plein de poupées, des ménages d’argent et en plomb, “ un navire d’argent doré sur roues, allant au vent, à l’Hollandaise “, des escadrons de plomb dont il dressait les escadrons sur une table percée ; mais il ne méprisait pas les jouets populaires, “ avec de gros drapeaux et du blanc d’Espagne “ et avec lesquels il menait grand tapage à la cour.

 

Il y eut aussi des ménages, qu’on retrouve constamment dans l’histoire des jouets.

Mais on reste rêveur, quand on lit dans Tallemant  la description de celui qui fut donné par le Cardinal à Madame d’Enghien : “ Il y avait, dans une petite chambre, six poupées représentant : une femme en couches, une nourrice quasi au naturel et une garde, une sage-femme et la grand-maman. Mademoiselle de Rambouillet, Mademoiselle de Boutteville et autres, jouaient avec elle. On déshabillait et couchait tous les soirs les poupées ; on les rhabillait le lendemain, on les faisait manger, et leur faisait prendre médecine. Un jour, elle voulut les faire baigner, et l’on eut bien de la peine à l’en empêcher.“

La chambre du sublime que Mademoiselle de Thianges donna, en 1675, au duc du Maine, était non moins magnifique. Il y avait un lit et un balustre, des fauteuils où étaient assises des figures de cire, le duc lui-même, le duc de la Rochefoucauld qui examinait des poèmes, Marcillac, Madame de Thianges, Madame de La Fayette, Boileau, empêchant avec une fourche les mauvais poètes d’approcher : Racine et Lafontaine !.....
Le dictionnaire du commerce de Savary, paru en 1723, montre que l’on vendait alors à la foire, des chevaux de cartes, des petits carrosses, des religieux sonnant leurs cloches, des prédicateurs en chaire, des crocheteurs chargés de bonbons, etc..

Au XVIIIème siècle il se trouvait en outre, dans les boutiques du nouvel an, des ménages en étain, des poupées habillées d’étoffes ; on recherchait les bois travaillés à Saint-Claude, les buis surtout, si durs, et de belle couleur jaune, où les ouvriers jurassiens sculptaient des figures grotesques, avinées, grimaçantes, qui égayaient par leurs trognes truculentes ; les jeux de quilles, les toupies et les cerfs-volants ; les pantins enfin, qui font une nouvelle apparition en 1746, ainsi que le rapporte Barbier dans son Journal


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Dans le courant de l’année dernière, écrit-il, on a imaginé à Paris des joujoux qu’on appelle des pantins, pour d’abord faire jouer les enfants,et qui ont servi ensuite à amuser tout le public... Ces petites figures représentent un arlequin, scaramouche, mitron, berger et bergère, etc...et sont peintes en conséquence de toutes sortes de façon. Il y en a eu de peintes par de bons peintres, entre autres par Monsieur Boucher, un des plus fameux de l’Académie, et qui se vendaient chers. Ce sont donc ces fadaises qui ont occupé et amusé tout Paris, de manière qu’on ne peut aller dans aucune maison qu’on en trouve de pendues à toutes les cheminées. On en fait présent à toutes les femmes et les filles, et la fureur en est au point qu’au commencement de cette année, toutes les boutiques en sont remplies pour les étrennes.


Une chanson courut même Paris et la province, consacrant la gloire de Pantin :

                     Que Pantin serait content
               
S’il avait l’art de vous plaire !
               
Que Pantin serait content
               
S’il vous plaisait en dansant !

               
C’est un garçon complaisant
               
Gaillard et divertissant,
               
Et qui pour vous satisfaire
               
Se met tout en mouvement.


Mais les Pantins, si fêtés, subirent le sort commun. En 1754, l’an 42 des bilboquets, 8 Pantins, 1 des navets , comme porte un brochure retrouvée par les Goncourt, on s’ingénia à creuser un navet et à planter dans le creux un oignon de jacinthe ; on laçait le tout dans l’eau , et les grandes personnes et enfants suivaient avec intérêt le développement simultané des fleurs de la jacinthe et des feuilles du navet, qui se trouvaient mêlés ;



C’était là, jouets pas chers; mais il y en eu aussi de magnifiques comme au XVIIème siècle ; ainsi les lits Louis XV dorés, sculptés, capitonnés de satin vert, des commodes ( déjà ! ) chinoises, des guéridons, des tabourets Louis XVI, des poupées à falbalas en possession d’un métier à tapisserie, d’un berceau avec poupon, d’un service à thé minuscule, des fauteuils lilliputiens. Jean-Jacques Rousseau clame contre ce luxe, prétendant qu’on ferait bien mieux de donner aux enfants, un bâton de réglisse et de petites branches d’arbres avec leurs fruits et leurs feuilles. Qu’aurait-il dit s’il avait connu ces jouets à surprise, venus d’Allemagne, comme cette maison achetée par le duc de Penthièvre, et apportée à ses petites filles du couvent de Bellechasse. Celles-ci ayant fait jouer un ressort, la porte s’ouvrit, et elles virent des “ choses horribles “, selon l’expression de Monsieur Clarétie. Le duc en fit une maladie, et la cour s’ébaudit de sa mésaventure.



Jean-Jacques parlait dans le désert. Tout le monde était de la conspiration; les plus grands artistes mêmes s’intéressaient aux jouets comme Boucher, ou les mettaient en belle place dans leurs oeuvres comme Chardin, Moreau le Jeune et Debucourt, qui doit à la mode des étrennes une de ses plus belles gravures en couleurs, le compliment ou la matinée du jour de l’an 1787, avec ses jolies colorations blondes, roses, bleutées, la grâce de ses bambins rieurs, l’émotion du grand-père et de la grand-mère,l’air bonasse du vieux serviteur qui apporte la collation et les promesses de l’armoire pleine de jouets.

Visites du jour de l'an par Hippolyte Leconte  (1810 )


Sous la révolution, l’engouement continua, mais dans l’intimité seulement ; car les assemblées ne manquaient aucune occasion de marquer leur mauvais vouloir contre cette vieille coutume. Les artisans se montrèrent alors accommodants ; ils fabriquèrent pour les enfants de petites guillotines, des bonnets phrygiens, des têtes de cochons qui figuraient d’illustres personnages, des bastilles en miniature, le jeu de cartes des philosophes lesquels remplaçaient les quatre rois, et surtout Coblenz ou l’Emigrette, à laquelle on jouait en chantant sur l’air de  Marlborough :

                L’général s’en va-t-en guerre
                Mironton tonton mirontaine
                L’général s’en va-t-en guerre
                Avec roïal Bourbon,

                Avec roïal Bourbon
                Et le roïal pituite,
                Mironton tonton mirontaine

                Et le roïal pituite



C’était des jouets frondeurs. Pendant l’Empire, ils furent guerriers comme il se comprend sans peine. Monsieur Henri Bouchot rapporte que le maréchal Davoust fit présent à son petit fils, âgé de treize mois, d’un tambour, d’une trompette et d’un manuel du parfait sous-officier, où « il apprendra disait-il, que pour bien servir son souverain, il faut être sans peur et sans reproches «. Les enfants recevaient des sabres de bois, des canons de sucre, des régiments et des bataillons en étain, des tambours, des papillotes à la Wagram, des dragées de Austerlitz, le petit Vauban, le casse tête militaire, le jeu des batailles, dédié aux braves depuis Clovis jusqu’à nos jours.



Les poupées seules faisaient exception à cette ardeur guerrière, catins  “ à corps de toile, à tête bras et jambes de bois, mal taillées, dégrossies à peine “ coiffées à la Titus, à la Grecque, et qui reposent “ sur un pied qui les maintient en équilibre et debout dans une raideur comique “.

Ce sont les confiseries qui l’emporte depuis l’Empire, et le jeux de tout repos, comme s’efforcèrent d’être la Restauration et la Monarchie de Juillet. Desrosiers Au Fidèle Berger, rue des Lombards, Pomerel-Lacroix, fabricant de chocolat, rue Thévenet, n° 11 à Paris, Delorier, Aux Deux Bergers, Créteil, rue Montorgueil, Lacroix, Au songe, sont les triomphateurs du jour.Ce ne sont que bonbons de la Duchesse d’Angoulême, Sucres de pommes à la Marie-Antoinette, jus de réglisse à La Royale, pastilles d’absinthe à La Napoléonide; des fondants au Retour des Lys, puis à La Charte Constitutionnelle, à la Smala,  etc...aux Héros de Mazagran ; tant il est vrai que la politique s’insinue partout où elle n’a que faire, pénétrant même dans les boutiques de confiseurs ! Il convient d’ailleurs de constater que la trève des confiseurs lui fut propice




Le compliment ou la matinée du jour de l'an 1787
D'après une estampe de Debucourt

Les jeux de tout repos, ce sont les acteurs en carton pour le théâtre des Fantoccini, le théâtre en carton pour l’enfance; des boites de magie, décorées d’un dessin ; des lanternes à projection ; le jeu de l’obélisque ; le jeu de chemin de fer “ calqué sur les voitures rudimentaires essayées entre Paris et Saint-Germain , sans catastrophe toutefois, et en cela nos pères montraient plus de tact que les aimables sceptiques d’aujourd’hui, lesquels n’ont pas reculé devant cette sottise macabre.
Comme auparavant les artistes ne se sont pas fait faute de s’intéresser aux étrennes ; c’est Tony Johannot et Devéria, qui décorent les boites de confiserie ; Hippolyte Lecomte représente des enfants souhaitant la nouvelle année à leurs grands-parents, mais avec quel moindre charme que Debucourt ! C’est Gavarni, qui en 1825, s’amuse à composer une planche de guignols, aujourd’hui rarissime, et recherchée avec âpreté par les collectionneurs; c’est Raffet, le peintre des batailles de la Révolution et de l’Empire qui décore de pantins le titre de plusieurs de ses albums ; et combien d’autres encore !




Depuis quelque temps, l’industrie des jouets subit une crise. L’imagination est-elle à court, et l’article de Paris, connu du monde entier, est-il en baisse ? N’a-t-on point abusé des étrennes utiles, et de ces prétentieux jouets scientifiques, qui n’apprennent rien, et n’amusent pas du tout ? Où les esprits sont-ils devenus à ce point moroses, qu’ils ne savent plus s’égayer de ces riens charmants, qui encombrent les baraques de Noël !
Cette année, sur l’initiative officielle, des artistes, membres de l’Institut, Gérome, Barrias, Detaille, Coutant, etc...mettent la main à la pâte, comme autrefois Boucher : initiative excellente, à condition que tant d’honneurs ne guindent point un art fait de primesaut, de belle humeur et de désinvolture.



Georges Riat

Dans un article publié dans  " La Vie Illustrée " de 1901



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